Architecture

Visions

Date

28 Novembre 2021

Auteurs

Izdi. Attal, Farrah Chekhab, Lionel Kolly

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House in Brissago

Architecture contemporaine dans le Tessin

Architecte

Wespi de Meuron Romeo Architetti

Chantier

Roberto La Rocca Architecte, 6648 Minusio

Ingénieur

Pedrazzini Guidotti Sagl, 6900 Lugano

Réalisation

2013

Surface

120m2



Inspiration méditerranéenne dans les Alpes

C’est à l’intérieur d’un monolithe en béton aggloméré directement à la route de Brissago, dans le canton du Tessin en Suisse, que l’agence d’architectes Wespi de Meuron Romeo a imaginé des espaces de vie intrinsèques tout respectant avec subtilité la topographie naturelle et qui n’est pas sans nous rappeler l’art de s’implanter de l’architecture méditerranéenne.

L’architecture en dualité avec le paysage


« Le paysage n’existe pas sans une construction. »

- Stefano Moor, Conférence à l'HEIA-FR, 13.12.2018


La nature est froide et hostile, sans qualité esthétique particulière, jusqu’à ce qu’une construction naissante révèle de ce paysage sauvage ce qu’il y a de plus beau. Ainsi est la manière franche de Stefano Moor, architecte tessinois, d’avancer le fait que la nature, avec ses imperfections, doit être tenue et domptée par la construction rigoureuse de l’être humain. Nous nuancerons cependant ses propos, en avançant que l’architecture est en dualité avec le paysage, qualité reposant sur une symbiose ininterrompue.

Ce constat se manifeste notamment lorsque nous évoquons l’architecture méditerranéenne, qui suscite interpellation et fascination. En effet, chacun de nous garde en souvenir dans un recoin de son esprit une image de ces paysages aux mystérieuses allures d’habitats troglodytes. Santorin, Marrakech, Grenade ravivent, tous ces lieux chez chacun de nous les mêmes émotions : l’instinct primitif de se sentir protégé par notre environnement.
Chaque élément participant à la composition de ces paysages imprègne l’inconscient collectif : les médinas arabes et l’effervescence des ruelles en friction avec le silence aigu des patios d’habitats, le poids de la culture andalouse et de la sobre monumentalité de l’Alhambra, la douceur grecque et ses paysages de toitures greffées aux falaises escarpées surplombant la mer.

Ces composantes architecturales ne se limitent pas aux abords du bassin méditerranéen. En effet, elles inspirent désormais les architectes du nord de l’Europe, et notamment dans les paysages montueux. C’est ainsi qu’en arpentant les Alpes tessinoises nous découvrons des objets architecturaux tels que la villa à Brissago, de l’agence Wespi de Meuron Romeo Architetti. Intrinsèquement comparable aux architectures méditerranéennes, la maison fait écho, de la manière la plus abstraite et essentielle, aux composantes de ces paysages troglodytes contemporains.


Inscrire l'objet dans le paysage


« La force est dans le rapport spatial que le volume établit avec son autour. L’objet doit enrichir le paysage. »

– Mario Botta, Conférence à l'EPFL, Habiter la modernité, 19.11.2018


Au premier abord de la maison à Brissago, on ressent que cet objet architectural est non seulement inscrit dans le génie du lieu, aléatoirement accidenté, mais il en fait partie intégrante et s’y insère avec une telle subtilité qu’il devient difficile d’imaginer l’objet sans son socle et son contexte.

Réputée pour la douceur de son climat méditerranéen, la région du Tessin est le lieu de convergence entre paysages abrupts montagneux et végétation opulente. Revendiquant son appartenance à ce territoire rocheux, la villa à Brissago semble être un amas de roches en lévitation au-dessus du Lago Maggiore. Les façades, perforées de formes rectangulaires répétées, sont travaillées dans un système de proportions afin d’offrir aux espaces ce qui fait leur beauté originelle : un paysage spectaculaire. L’humble charme de cette construction repose sur sa discrétion. Enveloppée par la végétation bucolique et foisonnante, elle n’a pas la prétention de dominer son paysage et les alentours.

La toiture-terrasse incarne le rôle de façade avant. Cet acrotère, qui se trouve au même niveau que la route, fait apparaître une ligne horizontale, une référentielle dessinée par l’arase du clos en béton qui souligne poétiquement le paysage. Cette toiture ne se présente pas comme une évidence. En effet, la pensée première du promeneur ne peut pas être le simple fait de reconnaître une maison. C’est après avoir porté son regard plus soigneusement sur cet objet que nous pouvons reconnaître les indices permettant d’affirmer que ce promontoire en béton est une allégorie contemporaine de la toiture d’un espace à habiter. Depuis ce sommet, en s’approchant, nous apercevons la porte d’entrée, dissimulée dans la masse entre deux épaisseurs de murs, affirmant son allégeance à la montagne.


House in Brissago, Wespi de Meuron Romeo Architetti La référentielle | Grèce Tinos, Cyclades La référentielle


Du paysage au patio, du patio au paysage


« Le but essentiel d’un bâtiment est de fermer l’espace et non de l’orienter, et de séparer l’intérieur de l’extérieur. »

-  Robert Venturi, De l’ambiguïté en architecture, ed. Dunod, 1996


Les constructions que nous trouvons au sud de la Méditerranée, au Maghreb notamment, ont un rapport à la vue très noble et introverti. Au Maroc, dans la ville septentrionale de Fès, les maisons des anciennes médinas ont perpétuellement été construites sur le même modèle de la villa à patio, autour duquel se développent et évoluent dans les plains les espaces à habiter. L’unique contact avec la rue transparaît avec modestie sous la forme d’un mur exempt de toute fenêtre et présentant aux passants une simple porte. C’est de façon introvertie que les ouvertures sont créées sur le patio intérieur.

Nous retrouvons la réinterprétation de ces procédés dans notre maison tessinoise, qui exhibe à ses occupants une manière double de voir : un regard sur l’intérieur, un autre sur le grand paysage. Cette dernière nous fait ressentir toute l’impuissance de l’être face à ce robuste paysage suisse fait de montagnes, du lac et de la forêt. Les trois façades hors-sol de la construction sont pourvues d’ouvertures, chacune cadrant le paysage de manière unique, mais toujours en préservant une grande intimité grâce au terrain pentu et à la végétation luxuriante qui la borde. Bien que les baies vitrées offrent les plus grandes percées sur le paysage, le sentiment d’introversion est conservé par le fait que ces ouvertures agissent dans notre perception telle de grands tableaux à contempler depuis l’intérieur. Le détail de ces percées affirme ce fait : un cadre en bois maintient un grand vitrage dépourvu de montants parasites, cependant impossible à ouvrir. On ne peut qu’admirer le spectacle du paysage.

La vue intérieure qu’offre notamment la maison à Brissago est une vue sur le patio, élément d’une importance majeure et sacrée, située au centre de la construction. Ce petit microclimat à l’écart du reste est un présent sobre respectant l’intimité des habitants. Nous pouvonsycontempleretprofiterdela lumière zénithale, qui rampe et file sur et entre les granulats épais des murs de béton, d’un arbre et d’une fontaine. Une intériorité très tranquille et épurée se dresse et met en équilibre la tension entre l’atmosphère sereine de la maison et les mouvements du grand paysage.

House in Brissago, Wespi de Meuron Romeo Architetti Le patio | Grenade, le Palais de l’Alhambra Le patio Reja


Creuser pour se cacher


« [...] une transition imperceptible entre intérieur et extérieur, une incroyable sensation du lieu, [...] lorsque soudain cette enveloppe est autour de soi et nous rassemble et nous tient, seul ou en groupe. »

- Peter Zumthor, Atmospheres, ed.Birkhäuser, 2008


Le patio, dans sa forme la plus abstraite et la plus conceptuelle, est semblable à un noyau vide, coeur d’une masse sombre, dans laquelle se développent les espaces d’habitation.

Décrite comme un objet aux allures monolithiques à l’image de l’architecture cycladique, cette composition close et discrète n’est pas sans nous rappeler un habitat primitif. Toujours à l’image des habitations troglodytes, la maison semble être travaillée par à-coups en négatif dans et avec la masse, chose accentuée par l’épaisseur englobant les espaces à vivre, afin de combler le besoin fondamental de l’homme introverti de se mettre à l’abri.

Dépourvu de toute ornementation, un retour à l’essentiel est mis en évidence. En effet, l’architecture de ce que nous considérons comme des perles grecques fusionne avec le paysage. Ces habitations ont été construites dans la rudimentarité absolue, chose que nous pouvons retrouver à Brissago. La naissance de la maison est permise par des méthodes de construction humbles en dualité avec le béton désactivé mis en application. Formulé à partir de granulats locaux célébrant la pierre locale, ce procédé n’est pas sans nous rappeler l’architecture cycladique, construite à partir de roche volcanique de son paysage. Ainsi, la maison à Brissago devient une métonymie élogieuse des Alpes et de sa roche en s’appropriant ce que l’environnement proche lui lègue. Ces éléments nous permettent de qualifier la maison d’une allégorie de la caverne contemporaine, magnifiée par les techniques de construction diverses actuelles permettant de créer volontairement l’imperfection d’un habitat primaire. De par son intériorité forte, la maison offre à ses occupants une cavité qui permet d’apprécier le paysage en ayant le sentiment de s’approprier l’intérieur d’un volume protégé par la massivité sombre de son enveloppe. Ainsi les espaces révélés dans la masse embrassent le paysage, et nous retrouvons, dans la limite de ses ouvertures, ce que Mario BOTTA a pour habitude de nommer un microclimat. La limite à l’environnement est dédoublée, et l’épaisseur qui apparaît incarne une transition, une étape de protection, entre les espaces domestiques et la nature sauvage.

House in Brissago, Wespi de Meuron Romeo Architetti L’objet dans le terrain | Monaster de Amorgos L’objet dans le terrain



La maison à Brissago de Wespi de Meuron Romeo devient alors dans ce contexte une composition alpine rappelant les éléments des paysages méditerranéens : l’inscription dans un ensemble sauvage aux dénivelés importants, l’apparition de vides habitables par l’action de creuser dans la masse et le patio, coeur de la composition. L’architecture est alors greffée à son paysage, pour révéler aux espaces la simplicité la plus primaire.